- Historique d'Addictions - Alcool Vie Libre -
1954
Action auprès des buveurs à guérir.
Si nous prenons le Mouvement en 1954, date de la Charte, nous le trouvons en plein démarrage avec des personnes pleines de bonne volonté, riches de dévouement, certaines de la nécessité de l'action auprès des buveurs à guérir et de leurs familles.
1955-1956
Ce qui est primordial se précise et se confirme :
- L'action du semblable sur le semblable, l'action du buveur guéri sur le buveur à guérir de l'alcoolisme et de la nécessité d'agir sur les structures de la Société.
- La fierté « d'en être sorti » porte les buveurs guéris à porter leur témoignage en public. Ils éprouvent le besoin de crier leur bonheur et l'opinion publique devrait être éclairée sur l'alcoolisme-maladie et sur sa guérison. Il s'agissait de détruire le préjugé : «Qui a bu boira». Cette notion de l'alcoolisme-maladie distinguait profondément le Mouvement « VIE LIBRE » des autres mouvements.
- L'amitié qui existe dans le cœur de tous les malades guéris s’affirme. Elle est le ferment de la guérison. Elle devient la grande devise de notre Mouvement : « Notre force est notre amitié ». Si parfois l'amitié risque de disparaître c'est qu'elle n'est pas gratuite, désintéressée. Par contre, cette amitié est donnée dans le sens de la promotion et du bonheur des autres, elle demeure, elle tient bon.
- L'abstinence totale de tout alcool et familiale que l'ensemble des docteurs était loin de préconiser. Ce fut le résultat de fortes discussions au II° Congrès national au musée social de la rue Las Cases, à Paris.
- La participation des abstinents volontaires (conjoints des buveurs guéris, leurs enfants et parents, et autres volontaires) à l'action des buveurs guéris qui était à l'origine de l'Entraide en 1946 (cf, la Charte de 1954, pages 6 et 10), et aussi, la coopération de membres sympathisants de tous milieux.
Cette participation et cette coopération, à part entière, des uns et des autres, s'expliquent du fait que « VIE LIBRE » essaie de toutes ses forces, par le triple jeu de la promotion professionnelle, familiale et sociale, de restituer l’homme dans toutes ses dimensions personnelles et collectives, donc dans la Société.
Il fallait que la Société aille à la rencontre de tous les rejetés que sont les victimes de l'alcoolisme. Une sorte de « délégation » de cette société s'est constituée à partir des abstinents volontaires et sympathisants.
Les abstinents volontaires, quant à eux, ont apporté, pour certains, le concours de leur expérience et de leurs compétences. Cela n'a pas été sans fautes de leur part, car ils ont quelquefois oublié que le moteur premier du Mouvement, son dynamisme profond, et en même temps sa faiblesse, restait le ressort caché de la souffrance.
Une leçon profonde reste valable pour toutes époques et pour tout homme : nul n'est à l'abri du paternalisme à l'égard de son semblable. Qui n'a pas dit : « Mes malades, ma section... ? ». Qui n'a pas préparé une réunion tout seul et qui ne se plaint pas d'avoir trop de travail alors qu'il répugne à confier du travail à d'autres ? etc...
De façon bien inégale encore dans toute la France, « VIE LIBRE » est devenu une équipe dans laquelle buveurs guéris et abstinents volontaires se côtoient fraternellement. Mais le Mouvement se doit d'être très vigilant sur le choix des amis qui désirent s'y engager volontairement, en complet accord avec les statuts et le règlement intérieur du Mouvement. Le service et la gratuité totale doivent être la règle absolue
1956-1957
Progressivement, les conjointes des malades guéris se sont fait entendre dans le Mouvement. Un tel accent était sur le témoignage du buveur guéri, sur la nécessité de son action, que les conjointes étaient souvent mises de côté. On voit souvent cela; même maintenant dans les débuts des sections. Il y a souvent les blessures du passé. Tout cela n'est pas résolu. Il y a le cortège des difficultés matérielles, l'inévitable crainte des rechutes de la première année.
Les conjointes d'aujourd’hui, comme celles d’hier, ont besoin de beaucoup de compréhension et d'aide dans leurs problèmes particuliers de femmes et d'épouses <comme d'ailleurs les enfants, les mères et les sœurs des malades).
« Hier, beaucoup pensaient que c'était par la création de " Commissions féminines" entre elles, par elles, pour elles. »
Aujourd’hui, beaucoup pensent que le Mouvement étant familial et devant pousser à la réalisation du couple, à son unité, il est dommageable de faire ces Commissions féminines. Ils pensent que c'est dans l'équipe de base, où tous se retrouvent, que se refera l'unité du foyer.
Le même problème se retrouve, d'une façon plus cruciale, pour les femmes malades ou guéries. Il semble bien, toutefois, que pour nombre d'entre elles la solution transitoire du « groupe entre elles, par elles, pour elles » représente un palier nécessaire vers le groupe plus large d'amis que l'on rencontre dans les équipes de base.
En fait, « VIE LIBRE », en se voulant Mouvement familial, n'exclue pas pour autant la présence des isolés (hommes et femmes) et il est entendu que pour ces derniers, il existe un problème : celui d'être seul dans la vie. Chez certains, cela peut créer une gêne lorsqu'ils se trouvent en présence de couples. Suivant leur situation, il se peut aussi qu'ils aient à discuter entre eux de problèmes causés par le fait de vivre seuls.
Mais n'est-ce pas aux foyers (c'est-à-dire aux couples constitués) de les intégrer avec eux pour mener une action commune au sein des équipes de base, dans lesquelles ils pourront s'exprimer dans la mesure où ces foyers seront attentifs à leurs problèmes.
C'est pourquoi il est souvent préférable pour les malades isolés d'être recueillis dans des foyers d’hébergement très ouverts, où ils pourraient rencontrer toutes sortes de personnes, ce qui aurait pour but de créer un climat de réadaptation à la vie.
Cette réalisation (matérielle, technique et financière) n'incombe pas à « VIE LIBRE », mais aux Pouvoirs publics. Nous devons les alerter et les informer de l'action que nous menons conjointement avec les organisations populaires. Ils devront prendre conscience que celle-ci ne peut atteindre son but vis-à-vis des isolés que dans la mesure où seront mis à leur disposition des maisons d’hébergement saines et accueillantes dont la conception de l'animation sera définie par «VIE LIBRE ».
1958-1959
Le caractère de mouvement de promotion familiale, professionnelle et sociale s'affirme. Mais, s'agissait-il d'une promotion personnelle ou d'une promotion collective? Que de débats sur cette question importante? Tel insistait sur le fait qu'il avait grimpé dans l'échelon professionnel, tel disant que par l'action au service des autres il avait acquis une véritable formation humaine et que cela valait « Tout l'or du monde ».
A part des exceptions qui confirment la règle, il ne faut pas dissocier une juste promotion, c'est-à-dire l'acquisition d'une profession, d’un logement, d’un pouvoir d'achat suffisant et l'action au service des autres qui donne à la vie un sens profond.
De ces années, s'affirme la prise de conscience d'appliquer les principes de la Charte sur l'action collective dans la famille, le quartier, le milieu de travail... (cf. la Charte de 1954, page 11).
Notons tout le positif de l'action « VIE LIBRE » avec son caractère promotionnel, à partir de son système d'action, par la base, dans les équipes de base. Voyons aussi toute la formation des personnes au niveau familial et social par des journées de formation dans toutes les sections. Dans celles-ci chaque malade pourra acquérir un caractère d’homme, de femme, voir les réalités de la vie et faire face au combat journalier qu'il y a à mener pour la défense des buveurs, et enfin combattre aussi tout ce qui écrase les plus pauvres tel que le paternalisme et le capitalisme.
1960-1965
Notons tout de suite tout le positif qui existait à l'époque, ou qui s'est fait jour dans ces années.
En particulier, l'action de base qui a été remise en cause au niveau des équipes de base (déjà créées par la Charte 1954). Aujourd’hui nous en voyons les effets se concrétiser par leur développement et leur efficacité. Nous pouvons dire que ces années nous ont apporté beau-coup dans l'action directe auprès des malades.
Regardons aussi tout le travail de base réalisé au niveau des entreprises par les militants qui se sont donnés à fond dans une action complémentaire avec les organisations syndicales, et cela : soit par délégation en vue d'aider un buveur de telle ou telle entreprise, soit par des actions revendicatives au niveau des Unions locales et départementales.
Regardons tous les buveurs guéris qui ont adhéré à un syndicat de leur choix. Voyons aussi les actions menées conjointement avec les Mouvements familiaux pour obtenir plus de sécurité pour les familles, la prise de conscience des militants pour obtenir une formation, et, en allant plus loin encore, voyons les engagements de chacun dans des mouvements populaires pour combattre les causes de l'alcoolisme et revendiquer davantage de bien-être pour les plus petits. Regardons enfin le travail positif qui avait été réalisé lors de la rencontre « Action au Travail » à Saint-Etienne, en novembre 1967, rencontre qui nous a fait découvnr l'action menée à la base par les militants avec les syndicats.
Ce fut aussi une période très douloureuse : années de scissions, années significatives.
Par ordre chronologique, elles ont été créées par les raisons suivantes :
- En SAVOIE : Paternalisme d'un ingénieur, « patron » du C.D.D.C.A., qui a fondé «Joie et Santé . Mont-Blanc».
- Dans le DOUBS : Direction autoritaire d’un abstinent volontaire, membre influent du clergé local, ce qui a eu pour conséquence la création de « Joie et Santé - Franche Comté».
- Dans les VOSGES : Appui du C.D.D.CA. pour fonder «Joie et Santé» et «Les Amis de la Santé».
- En ILLE ET VILAINE : Appui d'un pharmacien abstinent volontaire et du délégué régional du C.D.C.A. qui ont lancé «Joie et Santé» d'Ille-et-Vilaine.
- En SARTHE : Direction paternaliste et patronage d'un médecin membre du C.D.C.A. et création de «Joie et Santé . Sarthe».
Une autre scission a été créée par un membre « VIE LIBRE » de PARIS qui, sensibilisé par une pratique syndicale et politique au problème de la lutte contre les causes sociales de l'alcoolisme, et voyant le Mouvement ne pas s'y engager assez vite à son gré, avait décidé de « forcer la main ». Pour cela, il avait essayé des méthodes de délation auprès des grandes centrales syndicales et des organismes nationaux subventionneurs. Le Mouvement créé dans l'Ile-de-france, dont la base était voulue d'orientation nettement anti-paternaliste et populaire, est, depuis, passé entre des mains bien paternaliste et bien peu populaires.
La direction nationale de « VIE LIBRE » s'est heurtée, à l'époque, à toutes ces manœuvres de division et a été taxée d'autoritaire. Il faut dire que souvent les dirigeants régionaux, départementaux ou locaux du Mouvement n'étaient pas suffisamment conscients de la valeur de l'enjeu : par ce fait, ils ne jouaient pas un rôle suffisamment actif dans les discussions. Et puis, les scissions créent un climat très pénible d'insécurité, préjudiciable à l'équilibre affectif des personnes, d'où dépressions ou agressivités.
A tous ces Mouvements locaux partis de « VIE LIBRE », il faut ajouter, d'une façon toute spéciale la création d'Amitié P. et T., Mouvement corporatiste de postiers lancé et appuyé par des cadres P. et T. La façon dont « ces messieurs » comprenaient la signalisation et les soins aux malades alcooliques dans le cadre du service ainsi que le paternalisme inévitable que crée la présence de « chefs » dans les réunions, nous avaient amenés les uns et les autres à constater que chacun devait faire sa route de son côté.
Disons aussi que les conflits sont très personnalisés à « VIE LIBRE », c'est ce qui leur donne un aspect très passionnel, très pénible. Une agressivité, un désir de domination sur l'autre se font souvent jour et aggravent les divergences d'opinion.
Attention donc, comme l'expérience le fait dire aux personnes qui démarrent le Mouvement sur telle ville ou tel bourg. Le Mouvement aura le visage du leader de première heure ou de l'équipe collectivement responsable.
De cette époque date la pénétration de plus en plus large du Mou-vement dans le monde rural, et en particulier dans l'Ouest et en Normandie. De réelles difficultés de soutien se font jour, la solution résidant dans la multiplicité des équipes de soutien et le déplacement (quelquefois anarchique) des militants urbains dans les bourgs.
De cette époque date aussi la création de postes de « permanents-visiteurs sociaux » chargé dans l'esprit des uns, du soutien des militants et des équipes de base, de l'animation en équipe avec les Comités, de représentation auprès des organismes et de taches administratives et pour les autres (plus particulièrement pour ceux sous contrat Santé ou Sécurité Sociale), de tâches de super-militants.
Ce problème est à reprendre, car il n'est pas résolu.
C'est de 1964 que date, au plan national, par une action persévérante, notre dédouanement du C.N.D.CA. Nous touchions pour la première fois directement nos subventions. Le Conseil national de cette époque devait voter un texte recommandant à tous les départements de s'engager sur la même voie.
La collaboration recherchée avec les Confédérations syndicales au niveau le plus haut avait permis, grâce à l'action au travail développée à cette époque, mais de façon un peu artificielle, d'obtenir des Centrales syndicales trois déclarations (C.G.T., C.F.D.T., F.O.) parues dans « Libres » et le dédouanement des subventions.
Un article a également paru dans « Le Peuple » (organe de la C.G.T.) et également dans le bulletin de formation de la C.F.D.T. Mais cette collaboration n'était pas suffisamment le reflet d'un travail soutenu au plan local et de ce fait, n'a pas tenu.
Dans la ligne de cette collaboration, nous allions à l'époque vers les sections reconnues d'entreprises, mais leur reconnaissance supposait une tutelle patronale ou syndicale préjudiciable aux malades, ce qui explique qu'un Conseil national devait enlever des statuts la possibilité de créer de nouveaux groupes d'entreprises.
En mars 1963, il y eut la reconnaissance d'utilité publique qui, pour nous, signifie essentiellement que nous sommes un corps représentatif des victimes de l'alcoolisme et que nous sommes parfaitement capables de gérer nos propres affaires.
En 1964, une prise de conscience générale des militants a montré la nécessité de la formation. Ce fut le début de la collaboration « VIE LIBRE - C.C.O » avec les stages nationaux de 5 jours. Puis ce fut les stages spécialisés de Poissy de 3 jours. Au plan local, c'est le moment des journées d'études en Commissions, en petites équipes, où le plus timide peut enfin dire quelque chose.
La révélation du X° anniversaire, comme celle de Vichy plus encore, ce fut de vouloir pleinement restituer l'homme et la femme dans leurs relations. A partir de la souffrance de la maladie et du rejet de lu Société, il a été ressenti combien notre ambition était de refaire des hommes et des femmes vraiment situés dans le milieu populaire et conscients de leur rôle auprès des plus souffrants.
1965 devait voir la concrétisation statutaire de certaines lignes d'action : introduction du mot « populaire », pas de double appartenance au titre de Mouvement de buveurs guéris, suppression des Comités et présidences d’honneur.
La raison de cette suppression de membre d’honneur s'explique par trois aspects :
- Les membres d’honneur étaient presque tous des personnes qui, par leur appartenance à une couche sociale, ou ayant une formation intellectuelle jugée supérieure, ne participaient pas pleinement à l'action du Mouvement mais y apportaient un soutien moral. Par leurs relations, ils apportaient parfois le « coup de piston » aux démarches des militants.
- C'était, sous une forme bienveillante, un risque de tutelle et, si nous voulions lutter pour une justice sociale, sans esprit sectaire, pourquoi fallait-il donner des honneurs à un seul et pas aux autres ?
- Avoir un Président d’honneur, c'était reléguer celui qui intimidait par sa supériorité sociale ou son appartenance à la classe libérale. Mais ce monde libéral ayant aussi ses malades alcooliques, nous avons surtout voulu faire comprendre que leur place et leur action était une action dans leur propre milieu.
Date de dernière mise à jour : 06/03/2023