L'ancienne buveuse aide les malades de l'alcool
Longtemps dépendante à la bouteille, Nicole milite au sein de l'association Vie libre, qui aide les alcooliques et leur entourage. La rescapée raconte comment elle est sortie de la spirale infernale.

Ci-dessus, Nicole Tourneux, pimpante grand-mère installée à Coulaines, est désormais responsable de l'association Vie libre
pour le secteur Le Mans Métropole. |
Nicole Tourneux, 71 ans, ancienne alcoolique, bénévole de l'association Vie libre. « J'ai commencé à boire vers 25 ans. Au début, c'était un verre de temps en temps. Avec mon mari, on s'était entourés de gens qui aimaient faire la fête. On a été pris dedans. On buvait tous les week-ends. Je n'ai pas eu le réflexe de me sortir de ce cercle vicieux.
Après quelques années, je suis passée d'une consommation raisonnable à une consommation excessive. J'ai traversé des événements douloureux, j'ai fait une grosse déprime et j'ai choisi la solution de facilité : la bouteille qui fait tourner la tête et oublier les soucis.
Alcoolo-dépendante pendant sept ans
Vers 35 ans, je suis devenue alcoolo-dépendante. Ça veut dire qu'on ne peut plus s'arrêter de boire : on perd la liberté de s'abstenir, de contrôler sa consommation. Une dépendance psychologique, puis physique.
Je suis rentrée dans une période infernale. Je ne savais pas comment faire pour m'arrêter. J'étais paumée. Sans le savoir, je suis devenue prisonnière d'une maladie silencieuse.
J'organisais ma vie pour et autour de l'alcool, la bouteille devenait ma seule raison de vivre. Je buvais n'importe quoi, des mélanges, pourvu que ça fasse de l'effet.
Je buvais surtout à la maison, où je cachais des bouteilles. J'étais tellement ivre que j'allais me coucher. C'était dur pour mon conjoint et mes deux filles. Je ne voulais pas me faire soigner, je pensais m'en sortir seule. Mais sans ma famille, je ne serai pas là aujourd'hui. Ils appelaient le médecin pour que j'aille en soin.
Cures et ré Alcoolisations
J'ai d'abord pris des médicaments, mais ça ne fonctionnait pas, je n'avais pas la motivation. Alors, j'ai été hospitalisée d'office. L'ambulance est venue m'emmener à l'hôpital, pour une première cure. Une cure de dégoût. Après, j'ai tenu six ou sept mois, puis j'ai rechuté.
On me disait « Qui a bu boira. » Elle est terrible, cette phrase. Je prenais un verre, puis deux, puis trois, puis la bouteille. C'était comme de la glu, un aimant.
Au travail, des collègues se moquaient de moi. Ça se voyait physiquement, que je buvais. Et j'ai eu beaucoup d'arrêts de travail.
J'ai fait une deuxième cure, en psychiatrie. Mais là, on pouvait me dire n'importe quoi, j'étais au fond du trou. J'ai encore rechuté. J'ai fait une troisième cure, à l'hôpital, et j'ai eu la pression de mon mari, qui n'acceptait pas les rechutes.
« Je me suis libérée d'un fardeau »
Le déclic, ça a été quand j'ai rencontré une assistante sociale de l'hôpital. Je lui ai raconté mes misères, elle m'a écouté, ça m'a réchauffé le coeur. Je me suis comme libérée d'un fardeau, j'ai vu la lumière au bout d'un tunnel. La lumière de la guérison. J'ai senti que je pouvais rebondir.
Le soir même, je suis allée voir des bénévoles de l'association Vie libre, qui aide des malades alcooliques. Ils tenaient une permanence à l'hôpital. Je leur ai laissé mon numéro de téléphone. Heureusement qu'ils m'ont rappelée, sinon, j'aurais peut-être laissé tomber.
Je suis allée voir une personne de l'association, le courant est passé. Je suis allée aux réunions, aux groupes de parole avec des nouveaux malades, des anciens, et aussi les familles.
Abstinence totale
Là, j'ai compris que je n'avais plus le choix. Si je voulais m'en sortir, il fallait rentrer dans l'abstinence totale. J'avais 42 ans. Depuis, je n'ai pas bu une goutte d'alcool.
Pour mettre toutes les chances de mon côté, j'ai continué mon suivi avec un psychiatre pendant quelques années. Il m'a dit que je n'avais pas de maladie mentale, juste un manque de soutien. Ce soutien, je l'ai trouvé à Vie libre.
Désormais, je suis fidèle aux réunions. Moi qui étais contre les associations, je suis de l'autre côté, une militante.
La souffrance des familles
J'essaie de convaincre les gens d'aller en soins. Il faut que les malades entendent la souffrance de leur famille. Et vice-versa. Tout ça doit se faire dans la discrétion et la confiance.
Moi, je ne ressens plus de tentation. Je m'adapte. J'ai appris à dire non. Quand je vais au repas des anciens à Coulaines, je refuse l'apéro et le vin. Si mes voisins me demandent pourquoi, je leur explique.
Ça fait 29 ans que je suis sortie de la spirale infernale. Je m'amuse plus qu'avant. Les soirées ne déraillent plus, il n'y a pas de blanc, on se rappelle de tout. C'est un grand bonheur. Et surtout une liberté retrouvée. »